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Le salon de thé de Nathalie
11 novembre 2004

L'insoutenable légèreté de l'être

Un de mes romans préférés de Milan Kundera...

insoutenable

- Première partie: La légèreté et la pesanteur:

"Ne lui en restait en héritage que la peur des femmes. Il les désirait, mais les craignait. Entre la peur et le désir, il fallait trouver un compromis; c'était ce qu'il appelait "l'amitié érotique". Il affirmait à ses maîtresses: seule une relation exempte de sentimentalité, où aucun des partenaires ne s'arroge de droits sur la vie et la liberté de l'autre, peut apporter le bonheur à tous les deux. [...] Pour avoir la certitude que l'amitié érotique ne cède jamais à l'agressivité de l'amour, il ne voyait chacune de ses maîtresses permanentes qu'à de très longs intervalles."

"Tomas se disait: coucher avec une femme et dormir avec elle, voilà deux passions non seulement différentes mais presque contradictoires. L'amour ne se manifeste pas par le désir de faire l'amour (ce désir s'applique à une inombrable multitude de femmes) mais par le désir du sommeil partagé (ce désir-là ne concerne qu'une seule femme)."

"...ces mots avaient plongé Tomas dans une étrange mélancolie. Il avait en effet brusquement compris que c'était tout à fait par hasard que Tereza s'était éprise de lui et non de son ami Z. Qu'en dehors de son amour réalisé pour Tomas, il existait au royaume du possible un nombre infini d'amours irréalisées pour d'autres hommes."

"Nous croyons tous qu'il est impensable que l'amour de notre vie puisse être quelque chose de léger, quelque chose qui ne pèse rien; nous nous figurons que notre amour est qu'il devait être; que sans lui notre vie ne serait pas notre vie. Nous nous persuadons que Beethoven en personne, morose et la crinière terrifiante, joue son "Es muss sein!" pour notre grand amour."

- Deuxième partie: L'âme et le corps

"...à ne point se soucier de son corps, on en devient plus facilement la victime. Ce supplice d'entendre son ventre prendre la parole au moment où elle se retrouvait face à face avec Tomas!"

"Tereza est donc née d'une situation qui révèle brutalement l'inconciliable dualité du corps et de l'âme, cette expérience humaine fondamentale. [...] Bien sûr, aujourd'hui, le corps a cessé d'être un mystère [...]. Mais il suffit d'aimer à la folie et d'entendre gargouiller ses intestins pour que l'unité de l'âme et du corps, illusion lyrique de l'ère scientifique, se dissipe aussitôt."

"La mère se mouche bruyamment, donne aux gens des détails sur sa vie sexuelle, exhibe son dentier. [...] Si elle est impudique à présent, elle l'est radicalement comme si elle voulait, par son impudeur, tirer un trait solennet sur sa vie passée et crier bien haut que la jeunesse et la beauté qu'elle a surestimées n'ont en fait aucune valeur."

"Maintenant, nous pouvons mieux comprendre le sens du vice secret de Tereza, de ses longs regards répétés devant le miroir. C'était un combat avec sa mère. C'était le désir de ne pas être un corps comme les autres corps, mais de voir sur la surface de son visage l'équipage de l'âme surgir du ventre du navire. Ce n'était pas facile parce que l'âme, triste, craintive, effarouchée, se cachait au fond des entrailles de Tereza et avait honte de se montrer."

"Dans ce café, personne n'avait encore jamais ouvert de livre sur une table. Pour Tereza, le livre était le signe de reconnaissance d'une fraternité secrète. Contre le monde de la grossièreté qui l'entourait, elle n'avait en effet qu'une seule arme: les livres qu'elle empruntait à la bibliothèque municipale [...]. Ils lui offraient une chance d'évasion imaginaire en l'arrachant à une vie qui ne lui apportait aucune satisfaction, mais ils avaient aussi un sens pour elle en tant qu'objets: elle aimait se promener dans la rue avec des livres sous le bras. Ils étaient pour elle ce qu'était la canne élégante pour le dandy du siècle dernier. Ils la distinguaient des autres."

"Seul le hasard peut nous apparaître comme un message. Ce qui arrive par nécessité, ce qui est attendu et se répète quotidiennement n'est que chose muette. Seul le hasard est parlant. On tente d'y lire comme des gitanes lisent au fond d'une tasse dans les figures qu'a dessinées le marc de café. [...] Pour qu'un amour soit inoubliable, il faut que les hasards s'y rejoignent dès le premier instant comme les oiseaux sur les épaules de saint François d'Assise."

"Notre vie quotidienne est bombardée de hasards, plus exactement de rencontres fortuites entre les gens et les événements, ce qu'on appelle des coïncidences. Il y a coïncidence quand deux événements inattendus se produisent en même temps, quand ils se rencontrent: Tomas apparaît dans la brasserie au moment où la radio joue du Beethoven. Dans leur immense majoriré, ces coïncidences-là passent complètement inaperçues. [...] Mais l'amour naissant a aiguisé en elle le sens de la beauté et elle n'oubliera jamais cette musique. Chaque fois qu'elle l'entendra, elle sera émue. [...] L'homme, guidé par le sens de la beauté, transforme l'événement fortuit (une musique de Beethoven, une mort dans une gare) en un motif qui va ensuite s'inscrire dans une partition de sa vie."

"Ce cri n'était pas une expression de sensualité. La sensualité, c'est la mobilisation maximale des sens: on observe l'autre intensément et on écoute ses moindres bruits. Le cri de Tereza voulait au contraire étourdir les sens pour les empêcher de voir et d'entendre. Ce qui hurlait en elle, c'était l'idéalisme naïf de son amour qui voulait abolir toutes les contradictions, abolir la dualité du corps et de l'âme, et peut-être même abolir le temps."

"Dans l'univers de sa mère, tous les corps étaient les mêmes et marchaient au pas l'un derrière l'autre. Depuis l'enfance, la nudité était pour Tereza le signe de l'uniformité obligatoire du camp de concentration; le signe de l'humiliation."

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