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Le salon de thé de Nathalie
20 juin 2008

"Les arpenteurs du monde" de Daniel Kehlmann

Cette semaine, je me suis lancée dans la lecture du roman qui a été un des plus grands succès littéraires en Allemagne de ces dernières décennies (vendu à plus de 750 000 exemplaires): "Die Vermessung der Welt" ("Les arpenteurs du monde") de Daniel Kehlmann (2005). Un livre érudit, très bien documenté et fort bien construit, récompensé fort justement par de nombreux prix, dont le Prix Candide et le Prix Kleist.

arpenteurs


Petite présentation du livre chez Actes Sud:

"L’un est le grand explorateur Alexander von Humboldt (1769-1859). Il quitte la vie bourgeoise, se fraye un chemin à travers la forêt vierge, rencontre des monstres marins et des cannibales, navigue sur l'Orénoque, goûte des poisons, compte les poux sur la tête des indigènes, rampe dans des cavités souterraines, gravit des volcans, et il n'aime pas les femmes. L'autre est Carl Friedrich Gauss (1777-1855), "Prince des Mathématiques" et astronome. Il saute de son lit de noces pour noter une formule, étudie la probabilité, découvre la fameuse courbe de répartition en cloche qui porte son nom, calcule l'orbite de la planète Cérès avec une exactitude effrayante, et il déteste voyager.
Un jour, cependant, Humboldt réussit à faire venir Gauss à Berlin. Que se passe-t-il lorsque les orbites de deux grands esprits se rejoignent ?

Deux fous de science - leur vie et leurs délires, leur génie et leurs faiblesses, leur exercice d'équilibre entre solitude et amour, ridicule et grandeur, échec et réussite - rendus tangibles grâce à l'humour et l'intelligence d'un jeune prodige de la littérature allemande." (quatrième de couverture chez Actes Sud, 2007)


Un récit bien construit 

Daniel Kehlmann mène donc le récit de la vie de deux génies allemands du 19ème siècle, le grand mathématicien et astronome Gauss (1777-1855) et l'explorateur Alexander Humboldt (1769-1859), en alternant au fil des chapitres les moments marquants de leur existence respective. Il choisit pour cela comme point de départ leur rencontre authentique à Berlin pour ensuite revenir sur leur enfance puis leur vie d'hommes.

Gauss et Humboldt: deux figures antithétiques, mais qui partagent le même but et la même passion 

Alors que le premier est issu d'un milieu modeste et casanier, le deuxième est au contraire un aristocrate et un grand voyageur. Au-delà de ses différences dans leur approche du savoir, ils sont tous les deux des passionnés au service d'un même but: la connaissance et la compréhension du monde. Seulement, tandis qu'Humboldt, en bon botaniste et naturaliste, cherche à percer les mystères de la nature en se confrontant directement à elle, Gauss, lui, préfère rester chez lui pour trouver les réponses à toutes ses questions grâce au pur raisonnement.

Ainsi, dans l'extrait suivant, Gauss et Humboldt oppose leurs visions respectives de la science:

"Tiens donc, s'écria Humboldt, et c'était quoi, la science, dans ce cas? 

Gauss tira sur sa pipe. Un homme seul à son bureau. Une feuille de papier devant lui, à la rigueur une lunette astronomique et, devant la fenêtre, un ciel dégagé. Un homme qui n'abandonnait pas avant d'avoir compris. Ca, c'était peut-être de la science. 

Et si cet homme faisait des voyages? 

Gauss haussa les épaules. Ce qui se cachait au loin, dans des grottes, des volcans ou des mines, était aléatoire et insignifiant. Le monde n'en devenait pas plus clair pour autant." (p. 245)

Un roman érudit, mais accessible et drôle 

Ce livre est très bien documenté (la majorité des faits relatés sont vrais). Malgré son érudition, la lecture reste plaisante et accessible. L'humour est omniprésent, en particulier à travers le personnage d'Humboldt. Les deux héros de ce roman sont tous les deux, à leur manière, des "originaux" par leur manière unique d'appréhender le monde et par leur comportement hors-norme. Les préoccupations quotidiennes du commun des mortels leur sont étrangères. Tout cela est bien souvent à l'origine de situations cocasses. Leur étrangeté et leurs excès font souvent sourire. On s'attache peut-être un peu plus à Humboldt, Gauss se montre souvent égoïste, râleur et particulièrement dur avec, entre autres, son fils Eugène.

Un des thèmes majeurs de roman est le caractère "germanique" de ces deux génies dans la mesure où ils représentent l'"esprit allemand". La vieillesse est aussi au coeur du dernier tiers du livre. Voici ce qu'en dit Gauss:

"Comment avait-il fait pour devenir aussi vieux? On ne marchait plus bien, on ne voyait plus bien, et on pensait si lentement. Vieillir n'avait rien de tragique. C'était ridicule." (p. 243) « Le corps humain […] était véritablement la source de toutes les humiliations. Qu’un esprit tel que le sien soit enfermé dans un corps maladif, alors qu’un être médiocre comme Eugène [son fils] ne tombait pour ainsi dire jamais malade, il avait toujours trouvé cela typique de l’humour diabolique de Dieu. » (p. 10) 

« la rencontre avec les ténèbres faisait partie du développement de l’individu, celui qui ne connaissait pas l’angoisse métaphysique ne serait jamais un Allemand. » (p. 20) 

Et encore quelques citations qui, selon moi, rendent bien compte du ton du livre (ou plus précisément ici de la pensée du grand mathématicien Gauss):

« C’était étrange et injuste, […] et une illustration parfaite du caractère lamentablement aléatoire de l’existence, que d’être né à une période donnée et d’y être rattaché, qu’on le veuille ou non. Cela donnait à l’homme un avantage incongru sur le passé et faisait de lui la risée de l’avenir. » (p. 9) 

« Pourquoi était-il triste ? Peut-être parce qu’il voyait sa mère mourir. Parce que le monde se révélait si décevant dès lors qu’on découvrait la ténuité de son étoffe, les mailles grossières de l’illusion, la couture fantaisiste de son revers. Parce que seuls le secret et l’oubli le rendaient supportable. Parce que l'homme ne tiendrait pas sans le sommeil qui l'arrachait quotidiennement à la réalité. Ne pas pouvoir détourner le regard, c'était ça, être triste. Connaître, [...] c'était désespérer. Pourquoi [...]? Parce que le temps ne s'arrêtait jamais." (p. 57)

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